Gérard Bochaton : Ce qui m’a frappé et ému en revoyant votre film, c’est la double dédicace : « à nos mères », « à Jean-Luc Godard et à Jean-Marie Straub » qui conjugue une tonalité intime et une dette artistique.
Sol Suffern-Quirno : Fabriquer un film comme celui-ci prend du temps, et pendant ce temps quatre personnes qui comptaient pour nous sont mortes. Cette dédicace est arrivée à la fin du processus de création du film, c’était une façon de faire entendre qu’elles avaient été présentes au quotidien, tout au long de notre travail.
Rudolf di Stefano : Il faut rajouter tout de même que la mort de la mère de Sol a été le point de départ de ce film. C’est cette perte, dans des conditions très particulières, qui a créé la nécessité d’un film. Au départ il était question de faire un film court comme nous le faisons souvent pour tenter d’agir sur l’actualité que l’on traverse. La situation qui a déclenché le travail était la pandémie, et plus particulièrement l’impossibilité d’accompagner les malades, les mourants et les morts pour des raisons de restriction sanitaire.
S.S-Q : C’est cet impossible qui nous a mené à lire Sophocle et en particulier Antigone, nous avions à ce moment besoin d’une aide… Cela nous a permis de faire le pas, qui était en quelque sorte transgressif, et qui consistait à veiller ma mère juste avant qu’elle ne meure, même si tout nous l’interdisait.
R.D : Ce fut un soulagement pour nous mais aussi pour tous les autres membres de notre famille, ainsi que pour le personnel de l’hôpital, parce que l’humanité, depuis qu’elle existe, a besoin de pouvoir accomplir des rites pour symboliser l’abîme que représente le passage de la vie à la mort. Ne pas pouvoir faire ces rites prend aussitôt, dans les situations concrètes, une dimension tragique. Ma mère décédait aussi, peu de temps après, toujours au cœur de cette période, il nous est apparu alors évident de leur dédicacer le film.
La deuxième dédicace convoque deux figures tutélaires qui ont disparu plus récemment et qui nous soutenaient par leurs œuvres, et nous orientaient par leur cinéma. Godard et Straub meurent tous les deux à Rolle en 2022 à quelques mois d’intervalle au cours du montage de notre film. Nous avons senti qu’il était important pour nous de leur dédier ce film, qui à certains égards est un Tombeau, à la façon des poèmes qu’a pu composer Mallarmé. Leur disparition a rendu aussitôt plus vives les questions : que faire, à présent ? Quelle nouvelle période s’ouvre quand des figures de ce type viennent à disparaître ?
S.S-Q : Il est vrai que c’était confortable d’avoir des repères aussi importants sur lesquels adosser notre travail cinématographique tout au long de nos vingt premières années de travail. Les savoir encore vivants, même s’ils produisaient un peu moins vers la fin de leur vie, nous épaulait, nous donnait le sentiment de ne pas être seuls dans la voie que nous avons choisie. Cela nous permettait peut-être aussi de ne pas faire le pas de plus que l’on se devait de faire, parce qu’eux étaient encore là pour l’accomplir, par l’inventivité qu’ils ont su maintenir jusqu’au bout. À présent nous prenons conscience que nous n’avons plus le choix que de nous lancer, sans continuer de se protéger derrière de grandes figures.
G.B : Le prologue prend la forme d’une fable archaïque empruntée à Archiloque comportant un double renversement comme Le chêne et du roseau : l’aigle connait un retour de fortune qui répond à celui qu’il a lui-même fait subir au renard. Ce qui est aussi frappant, c’est l’usage du drone que l’on associe forcément avec le point de vue de l’aigle. Enfin ce prologue s’avère complexe parce qu’on entend pour la première fois l’annonce des précautions sanitaires qui perturbe la chronologie et prépare à la complexité du film convoquant des textes archaïques pour parler du présent.
R.D : L’intérêt d’avoir finalement pris le temps de faire un film long, c’est d’avoir pu dire quelque chose du présent tout en prenant une certaine distance. Le rapport au temps et surtout au présent, n’est pas tout à fait le même lorsque l’on fait un film court ou un film long. Travailler trois ans à réaliser Les désorientés a permis que notre rapport à la période exceptionnelle que nous traversions, soit finalement prise en compte de manière moins brutale, moins directe, et finalement moins vindicative. La trace sonore de cette annonce sanitaire dans le métro, que tout parisien a entendu des centaines de fois, suffit à convoquer cette situation, sans avoir besoin de trop y insister par la suite. Nous sommes de toute façon convaincus que si l’on veut toucher au présent, et dire quelque chose de vrai sur le contemporain, il faut parfois être capable de grands détours, et trouver un biais fictionnel qui permette de confronter des choses éloignées à des choses plus proches temporellement. Nous sommes convaincus que des textes archaïques comme ceux que l’on utilise dans ce film, une fois confrontés au réel d’une époque peuvent révéler ce qui dans le présent reste inaperçu.
S.S-Q : Cette annonce est aussi un élément qui subsiste de toutes les recherches que nous avons menées pour comprendre comment l’histoire de l’humanité a traversé de grandes périodes épidémiques. Nous avons pour cela cherché dans Thucydide et La guerre de Péloponnèse, dans Boccace et son Décaméron, jusqu’à chez Foucault dans son livre Naissance de la clinique, parce que nous voulions que notre film ait comme fond ces questions : comment passe-t-on d’une époque à une autre ? Comment l’humanité surmonte les grandes épreuves auxquelles elle se trouve confrontée ? Comment sort-on de l’impasse ?
Et finalement cette simple annonce sonore rapprochée à la fable d’Archiloque suffisait pour faire sentir cette tension.
G.B : Mais cette tension ne se limite pas au début du film puisqu’elle résonne également dans tous les plans de rues désertes qui suivent, et cela est fortement relié aussi à l’enfermement final d’Antigone. Tout tient ensemble. Cela me fait penser à la phrase de Rivette : « Tout film est un documentaire sur son propre tournage ». J’ai l’impression que vous avez accueilli la situation tragique que le monde contemporain traversait et que cela est venu résonner avec la tragédie des Labdacides.
S.S-Q : C’est tout à fait exact, et nous avons mis du temps à l’accueillir ainsi, avec une certaine sobriété, sans avoir besoin de forcer le trait, et qu’en même temps des analogies soient clairement perceptibles.
R.D : Cette phrase de Rivette dit parfaitement notre travail, puisque dans nos films en général et de façon très prégnante dans celui-ci, nous suivons pendant tout le processus de création les personnes qui jouent dans le film. Nos tournages se sont déroulés pendant trois ans, et bien sûr pendant ce temps une quantité d’événements leur sont arrivés, et comme de plus nous travaillons sans scénario, nous avons modelé notre film à ce qu’ils sont, aux épreuves qu’ils ont rencontrées pendant toute cette période. Notre travail consiste autant à enquêter sur l’époque que sur les gens qui acceptent de tourner avec nous, en essayant de comprendre comment eux aussi réussissent à traverser les difficultés. La fiction de la fable se confronte alors aux vies réelles et le film devient aussi le documentaire de cette rencontre.
G.B : Votre film est très urbain et très différent par exemple de l’Antigone de Straub et Huillet. La ville est particulièrement présente, avec des détails très précis, qui révèlent à la fois un lieu de pouvoir et en même temps un lieu totalement déserté.
S.S-Q : Ce fut pour nous une décision. Quand les consignes gouvernementales imposaient de rester enfermés chez soi, beaucoup de personnes ont quitté la ville pour s’affranchir des contraintes urbaines. Pour nous, ce fut évident : c’est au cœur de la ville que nous voulions être, que nous voulions agir. Agir par de petites choses, mais agir surtout à cet endroit fait de pierre et d’asphalte où se concentrent la plupart des humains.
R.D : Et puisqu’une façon pour nous d’agir est de faire des films, alors nous avons entrepris d’en faire un. C’est pourquoi il ne pouvait pas ne pas être teinté d’urbanité, puisque c’est là que nous habitons. On pourrait dire que nous voulions, malgré la situation, parvenir tout de même à habiter cette ville, et par conséquent à habiter ce monde, même s’il est vrai qu’à maints égards, il s’avère franchement inhabitable. Pour y parvenir il fallait évidemment dialectiser les espaces, montrer que c’est dans la façon inventive de les combiner qu’il est possible de ne pas subir les façons d’habiter normées par l’état et les logiques oppressives qui nous sont imposées. En somme, faire de l’acte d’habiter une création et le lieu possible d’une émancipation.
Je donnerais l’exemple dans le film de Tirésias, qui à mes yeux parvient depuis le lieu qu’il occupe, qui est à la fois en retrait de la ville et en même temps au cœur de celle-ci, à inverser la tendance et à s’approprier le point de vue de l’aigle d’une toute autre façon, d’une façon plus immanente que celle qui consistait à faire valoir le pouvoir et son point de vue surplombant, qui procède toujours du haut vers le bas. Ce film tente de dialectiser ce qui est de l’ordre du centre, représenté par le quartier de La Défense, et de la périphérie, tout en montrant que ce qui est à la lisière des villes peut finalement se trouver être ce qu’il y a de plus central, exemplairement le lieu où habite Tirésias, mais aussi le lieu où gît le cadavre de Polynice abandonné au soleil.
G.B : Dans For Ever Mozart, Godard dit « la guerre, c’est simple, c’est faire entrer un morceau de fer dans un morceau de chair ». Ce qui est frappant dans votre film c’est l’arrivée relativement tardive d’Antigone et le temps que vous prenez à décrire la guerre. C’est le deuxième fléau pris en charge par le film, qui ici semble plutôt être la figure d’un frère qui s’en prend à un autre frère, à la fois par le combat stylisé de Polynice et Étéocle mais aussi par quelques images de la guerre d’aujourd’hui en Ukraine. Ce rapprochement anachronique semble annoncer qu’une guerre de grande ampleur approche.
R.D : Il est vrai que dans notre film Polynice rend, à sa manière, littérale la phrase de Godard, puisque nous avons eu d’idée qu’il forge lui-même la pointe de la lance qu’il enfoncera dans le corps de son frère. Antigone arrive tardivement dans le film parce que nous avions besoin de comprendre les raisons pour lesquelles elle se mobilise. Il se trouve que nous pensons qu’elle s’engage bien sûr dans le combat pour répondre à une injustice, celle qui consiste à ne pas accorder le même traitement à ses deux frères morts, mais aussi pour répondre à la question de la guerre incarnée par Créon qui se présente comme un nouveau type de chef de guerre, inaugurant ainsi un temps radicalement différent à celui qui le précède.
La dimension de guerre fratricide est importante pour nous, parce qu’elle met en avant l’idée qu’aujourd’hui nous avons vivement conscience que l’ennemi ne peut plus être extériorisé aussi clairement qu’avant, avec un antagonisme bien défini. Finalement, l’humanité produit son propre ennemi, et celui-ci est issu de ses propres rangs, nous sommes par conséquent aujourd’hui appelés à inventer un nouveau traitement de cette question de l’antagonisme.
Il faut bien voir que le film est basé sur le sentiment que les grandes contradictions qui régissaient l’ancien monde, je veux dire le monde qui existait juste avant le nôtre, sont aujourd’hui devenues inopérantes, ou en tout cas qu’il est urgent de trouver une nouvelle intelligibilité les concernant. Antigone, Créon et tous les personnages du film, témoignent de cette difficulté, et malgré la désorientation que cela provoque, ils se débattent pour faire entendre que si les formes anciennes de contradiction ne fonctionnent plus, il faut tenter d’en produire d’autres. Devant la grande guerre qui vient et qui, elle, sera bien réelle, il y a urgence que l’humanité réussisse à penser cette question, pour trouver des formes symboliques capables de faire entendre d’autres possibles. Nous avons et aurons bien la guerre fratricide, mais pas de Tragédie pour y répondre et c’est bien cela qui est singulièrement tragique.
S.S-Q : Il existe pour moi une différence entre ce qui est de l’ordre du combat et ce qui est de l’ordre de la guerre. À mes yeux, le combat constitue quelque chose, alors que la guerre ne constitue rien. Tout particulièrement les guerres d’aujourd’hui. La guerre ça décime tout, ça détruit, produit des cadavres, c’est le réel le plus abrupte, du fer dans de la chair effectivement, sans aucune symbolisation, alors qu’un combat c’est déjà la proposition d’une forme, une sorte de résolution des contradictions. Pour Antigone en particulier, ce n’est pas tant la perte de ses frères qui lui pose problème, ce n’est pas seulement la mort qui est douloureuse, mais surtout le fait de ne pas pouvoir tirer les véritables conséquences de ce combat, et de ne laisser exister que la brutalité de la guerre.
Disons qu’Antigone se bat aussi pour que le combat de Polynice et Étéocle n’ait pas été en vain et que les rituels qui l’entourent soient porteurs de clarification.
R.D : Reprendre ce combat mythique et le confronter aux images de la guerre actuelle est une façon de ne pas accepter cette montée vers la guerre comme un état de fait. Par les moyens affirmatifs que propose le cinéma, il s’agissait pour nous de traiter la négativité de la guerre, mais aussi la propagande actuelle faite en sa faveur. Le combat entre Polynice et Étéocle dans notre film rappelle les compositions rythmées qui habillent certaines céramiques grecques antiques.
G.B : Tout cela nous ramène à la question du titre du film Les désorientés, parce que l’on se demande finalement, qui sont les désorientés en question. On a l’impression que dans le film toutes ces figures tragiques, comme Créon, Antigone, Polynice… connaissent une chute et qu’il y a comme une réorientation proposée dans l’Exodos où ce qui est promu à la place des figures héroïques, qui ne semblent finalement plus tenables, c’est celles qu’incarnent des anonymes, des modèles. C’est là où le film devient bouleversant parce que ces modèles sont confrontés à leurs propres difficultés, tout en restant chargés de tout le mouvement précédent, où ils incarnaient les grandes figures tragiques. On a donc des anonymes qui tiennent malgré tout leurs points, et en même temps quelque chose de collectif se retisse entre eux, recréant des liens défaits, puisque chaque protagoniste fait le portrait d’un autre.
R.D : Il est vrai que ce film fait la promotion de la vie anonyme mais en tant que cet anonymat est aussi possiblement traversé par du divin, ou bien, si l’on veut le dire autrement, par de l’infini. Ces anonymes sont pour nous de nouvelles figures de l’héroïsme, ou comme le dit Badiou, les gardiens d’une vie possiblement orientée. Il est certain qu’aujourd’hui nous ne pouvons plus témoigner de l’infini de la même manière qu’autrefois, mais nous pouvons peut-être encore retraverser les anciennes manières, et y trouver les signes d’un renouvellement.
Effectivement, faire dire à chacun des protagonistes la vie de l’autre est une façon de faire sentir la dimension générique de l’humanité.
S.S-Q : Ces différentes personnes ne sont pas seulement des individualités, elles constituent un fond d’humanité porteur de quelque chose qui peut ressurgir, elles sont une espérance. Depuis le début nous voulions que ces vies anonymes trouvent place dans le film, mais jusqu’à très tard, nous ne savions pas comment les faire apparaitre dans le film. C’est en revenant à la forme tragique que nous avons pu résoudre cette question : l’Exodos, clôture de la tragédie, présente le dernier chant que le chœur offre au public en quittant l’orchestra par les côtés.
R.D : L’Exodos qui clôt le film permet de faire sentir rétrospectivement la structure générale du film, en résonnant avec le Prologue. L’Exodos termine le film et lui procure son unité. Cette fin ramasse la totalité du film et comme dans Rebecca d’Hitchcock par exemple, le spectateur est appelé à réévaluer l’ensemble de ce qu’il vient de voir et entendre, à la lumière de la fin. Pour nous le générique de fin comme celui du début, sont des éléments formels à part entière qui contribuent à produire deux mouvements opposés, l’un qui nous projette vers l’avant comme une annonce et l’autre vers l’arrière comme une invitation à ressaisir l’ensemble.
G.B : Il faut aussi relever l’éclat d’Antigone en rappelant la qualité que Lacan lui prête. Il dit que la beauté d’Antigone est de franchir une limite. Je trouve que cela est très sensible dans votre film au moment où Antigone danse, alors que c’est censé être une descente au tombeau, on a le sentiment que vous trouvez un moyen d’inventer une tout autre façon de finir, par une sorte de triomphe d’Antigone.
Lacan dit aussi qu’Antigone a fait tout cela parce qu’un frère ne peut être remplacé, et cette dimension apparait aussi très clairement dans votre film.
R.D : Oui, c’est un moment très puissant du texte de Sophocle où Antigone dit qu’elle n’aurait pas agi de la même manière pour un père ou pour une mère, ou même pour un amour, mais que son père et sa mère étant morts elle ne pourra plus jamais avoir de frère, et que c’est cet impossible qui la fait agir. Il y a là, effectivement une leçon secrète.
S.S-Q : Antigone assume d’agir à cet endroit précis, à l’endroit où il y a de l’irréparable.
R.D : C’est ce qui d’ailleurs fait d’elle une héroïne.
Il est vrai qu’au moment de la danse et du tombeau, il y a de notre part comme une prière adressée à Antigone, pour qu’elle nous vienne en aide. Il y a là quelque chose de l’ordre de la croyance, nous croyons à cette fiction et nous aimerions que d’autres y croient aussi. D’ailleurs Antigone dit à ce moment « Regardez-moi, public », afin que cette image prenne corps et reste matériellement opérante dans la mémoire du public. Oui, en effet, c’est vrai ce tombeau devient presque une victoire, c’est étrange d’avoir fait cela !
S.S-Q : Pouvoir faire appel à la danse était pour nous apparu dans notre précédent film La tempête, maisde façon encore très esquissée. Nous avions envie de poursuivre et de creuser cette possibilité, et il se trouve aussi qu’Inès qui incarne Antigone nous a un jour, entre deux moments de tournage, fait part de son envie de danser. Nous avons répondu à son désir.
G.B : Au début de Théorie du film, Siegfried Kracauer se souvient de la vision, adolescent, de son premier film : « c’était une banale rue de banlieue que le jeu des ombres et des lumières transfigurait. Quelques arbres se dressaient ici et là et au premier plan une flaque reflétait d’invisibles façades de maisons et un coin de ciel. À un moment, un souffle de vent fit bouger les ombres et les façades avec le ciel au-dessus d’elle se sont mises à ondoyer. Le monde d’en haut qui tremblait dans la flaque sale : cette image ne m’a plus jamais quitté ».
S.S-Q : C’est étonnant, cela semble décrire les derniers plans de notre film !
R.D : On peut dire que la vie des acteurs, cette fragilité puissante qu’ils ont sue nous livrer, existe secrètement dans chacune des séquences du film. Et c’est cela qui nous est révélé à la fin, en prenant la forme de portraits reflétés dans l’eau. Le reflet apparait effectivement comme l’émotion originelle que propose le cinéma. Pourtant la nécessité du reflet dans notre film est apparue bien tard, comme une évidence, sans avoir été préméditée.
S.S-Q : Nous avions déjà filmé une séquence avec un reflet inversé dans un film plus court sur Écho et Narcisse, avec d’ailleurs en partie les mêmes acteurs.
R.D : Nous avons aussi après coup fait le lien entre ces images reflets et ce qui arrive à Œdipe à la fin des Phéniciennes d’Euripide qui, aveugle et ne pouvant plus voir ses enfants morts, demande à Antigone de guider sa main pour pouvoir les toucher une dernière fois. Cet épisode nous a permis d’imaginer que les visages de nos modèles reflétés dans l’eau puissent être aussi caressés par l’Enfant, cette Antigone de demain. Ce geste est une façon de proposer aux spectateurs de parvenir à atteindre le visage de ces êtres aimés, de joindre l’image au toucher et ainsi de faire, de cet impossible, cinéma.