Je veux seulement vous dire que j’ai été impressionné par le très audacieux mélange de complexité formelle et de « droiture » pensante que propose ce film.
Vous êtes un des rares à avoir compris – et porté au-delà d’elles – les leçons de Godard. Et notamment que ce n’est qu’en mixant de façon subtile le multiple hétérogène des situations qu’on peut dégager la ligne claire de ce qu’elles détiennent de ressource quant à leur possible transformation. Ce qui suppose un maniement tout fait nouveau des ressources filmiques : images spatialisées dans un encadrement visible, musiques neuves, citations de tous ordres (mais convergentes), acteurs en quelque sorte « réels », plus un recours diagonal à des « fables » déjà installées, comme ici, par exemple, Ulysse ou Œdipe, tout comme le mythe d’Er (dans ma prose, ce qui m’a narcissiquement touché…). Tout cela soumis à un répertoire de formes le plus souvent très évidentes comme formes : la théâtralité souterraine, la marche dans l’espace le plus ouvert possible, la structure chorale, l’instabilité de certaines images, l’eau énigmatique, et une de vos trouvailles : l’image en quelque sorte cachée par son propre fond noir, entraperçue partiellement, comme « sous » l’écran.
Mais bien entendu, tout cela est vigoureusement rassemblé par l’épopée filmique de la marche dans le monde, venu de toutes parts, mais ici surtout d’Afrique, du prolétariat nomade, vu « en masse » dans le chœur qui le symbolise à la fin, mais aussi concentré dans le triplet de l’homme, de la femme et de l’enfant.
C’est très fort, soyez-en sûr !
Alain Badiou, juillet 2018