LE FILM-ESSAI

Le film-essai est le lieu d’une exploration qui tente par des moyens spécifiquement cinématographiques de comprendre ce qui est potentiellement faisable dans le champ du cinéma. C’est au travers des différentes formes hétéroclites qu’il prend, et de toutes les audaces qu’il tente, que le film-essai est à entendre comme source vive de la pratique cinématographique et comme possible découvreur de champs encore inconnus.  

Le film-essai met en œuvre la maxime de Bresson paraphrasant Picasso tout en la transformant : trouver d’abord et chercher ensuite. Trouver par un film comment faire du cinéma et faire alors une recherche qui soit capable de rester en intériorité au cinéma. Trouver en faisant, voilà la méthode, et c’est pour cela que l’opération centrale du film-essai est le montage

Le film-essai est par définition un film qui expérimente, sans pour autant être expérimental, sans être inscrit dans une catégorie établie. Il est un lieu de trouvailles, un espace cinématographique chargé de possibles. Sans l’existence réelle de ce type de film, un champ entier du cinéma ne trouverait pas de résolutions formelles et serait condamné à rester enfermé dans le chaos mental des cinéastes. 

Le film-essai est en même temps promesse d’une forme et forme d’une promesse. Il s’engage donc toujours à voir au bord de la disparition, en faisant tenir ensemble des matériaux hétéroclites, des éléments en devenir. Fabrication d’images et de sons qui s’écrivent sur quelque chose qui est en mouvement, qui ne peut être enterré sous un aveuglement de sens. 

Malgré son aspect parfois artisanal, voire bricolé, le film-essai est en réalité une vraie proposition formelle, qui se tient à distance des formes instituées du cinéma et à la limite des genres cinématographiques. Il diversifie le cinéma, là où il aurait tendance à se formater. Il se fabrique autant, avec des images filmées spécialement pour le film, qu’avec des images prisent d’autres films, ou encore avec des images saisies dans la grande foire aux images du monde. 

Le film-essai existe depuis les débuts du cinéma, depuis que le cinéma se fait avec les mains et s’effectue sur des tables de montage. Il est probable qu’il y ait au cœur de certains films classiques, des moments que l’on pourrait considérer comme des essais, mais le film-essai trouve tout de même un point de départ certain dans des films comme ceux de Pollet avec Méditerranée, mais aussi ceux de Godard comme Scénario de Je vous salue Marie ou JLG/JLG ou encore plus récemment Les 3X3D : les trois désastres. Il y a bien sûr aussi dans cette même tradition, certains films de Pasolini comme, La Rabbia, Carnet de notes pour une Orestie Africaine ou Notes pour un film sur l’lnde, et encore les films-essais de Vertov, Marker, Farocki, Monteiro, Ruiz, Kluge, Duras, Péléchian… Ces films et ces cinéastes font date et inaugurent une méthode de travail que certains cinéastes aujourd’hui poursuivent avec ferveur. 

Le film-essai prend souvent la forme d’une enquête, enquête vers un film futur. Ce type de film a la particularité de rester actif une fois le film final réalisé, il reste l’envers constant, le négatif qui élargit l’idée que l’on se fait d’une œuvre cinématographique en faisant du moment de la préparation, une partie constituante du film final. Le film-essai est une œuvre cinématographique qui étend l’idée de ce qu’est un film.

Si le film-essai dans ce cas précis, prend la forme d’une annonce, d’une pré-vision d’un film futur par un faire effectif, il est évident que le nouveau film outrepasse cette prévision. Le film-essai et le film final trouvent in fine une unité paradoxale dont la béance qui les sépare est productive de pensée.

Tous les films-essais ne sont pas nécessairement des films préparatoires qui trouvent une résolution dans un autre film. Certains se tiennent là, au présent, comme toutes ces peintures de l’Annonciation qui présentent le mystère, mais aussi comme toutes ces déclarations d’amour qui valent pour elles-mêmes et pour toujours. 

Dans la grande diversité des films-essais, il y a aussi ceux qui sont un moyen pour le cinéaste de penser le cinéma et qui sont l’occasion pour lui de s’interroger sur sa pratique. À la différence des films-essais qui annoncent en amont, ces films-là sont souvent des après-coups, c’est-à-dire qu’ils sont une pensée qui vient après les découvertes que révèle la fabrication de film. Ces films-essais sont finalement à entendre comme des fictions rationnelles du cinéaste, des histoires qu’il se raconte pour tenter de comprendre ce qu’il a fait en produisant un film et par là, se donner du courage pour continuer. 

Le film-essai peut donc prendre la forme d’un film réflexif, il cherche à comprendre la place que tiennent le cinéaste, les films, leurs spectateurs, dans un ensemble plus vaste qui est leur moment historique.  

Il y a aussi le film-essai qui interroge le monde et l’actualité, des films d’intervention pourrait-on dire. Ces films là tentent avec leurs moyens propres de se tenir à hauteur du présent, de confronter leurs exigences artistiques à celles de la politique par exemple, mais aussi à celles de l’amour, à celles des sciences, ou encore aux exigences que détiennent d’autres pratiques artistiques.

Il y a encore le film-essai qui est le lieu d’une introspection et qui poursuit par là, la grande tradition picturale et littéraire de l’autoportrait ou de l’autobiographie.  

En somme la désignation de film-essai est suffisamment ample pour accueillir toute une série de films qui se tiennent en dehors des grandes formes repérées par l’industrie culturelle et commerciale du cinéma. Faire des films-essais pour que d’une part, l’on prenne mesure des ressources qu’ils détiennent, et que de l’autre l’on découvre les puissances de renouvellement qu’ils proposent pour le cinéma.

 Rudolf di Stefano / 2020

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